Europe

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Il y a un an, je faisais mes premiers pas au Parlement européen et j’intégrais la commission « environnement, santé publique et sécurité alimentaire ».
Un an plus tard, je suis l’auteure du rapport sur la pénurie des médicaments en Europe, un sujet particulièrement d’actualité en pleine crise sanitaire.

La question éminemment sensible de la pénurie de médicaments n’est pas récente. La crise sanitaire du COVID-19, avec l’augmentation soudaine et amplifiée de la demande mondiale, n’a fait que mettre en évidence ce phénomène récurrent de pénuries de médicaments et de matériel médical en Europe, situation bien connue des personnels soignants et de certains patients qui vivent avec cette menace pour leur santé.

Les ruptures de stocks et tensions d’approvisionnement concernent principalement les produits chimiques peu coûteux, de production simple, et les médicaments dits “matures”. Elles se sont multipliées par 20 entre 2000 et 2018 et par 12 depuis 2008, entraînant des risques considérables pour la sécurité des patients et fragilisant le système sanitaire des États membres.

Ces pénuries concernent particulièrement les anticancéreux, les antibiotiques, les vaccins, les anesthésiants, les traitements de l’hypertension, maladies cardiaques, maladies du système nerveux. Parmi ces médicaments, les anticancéreux (chimiothérapies), les anti-infectieux (vaccins) et les médicaments du système nerveux (antiépileptiques, antiparkinsoniens) représentent à eux seuls plus de la moitié des ruptures.

La crise sanitaire du COVID-19 a également mis en lumière une dépendance de plus en plus forte de l’Union européenne à l’égard de pays tiers, principalement la Chine et l’Inde.

En effet, si les causes de ces pénuries sont multiples (difficultés de fabrication ou problèmes affectant la qualité des médicaments, demande inattendue comme des épidémies virales soudaines ou des catastrophes naturelles, problèmes dans les chaînes d’approvisionnement etc.), la délocalisation de la production des substances actives mais également de produits finis a considérablement affaibli la souveraineté des États membres. Selon l’Agence européenne du médicament, 40% des médicaments finis commercialisés dans l’UE proviennent de pays tiers, et 80% des principes actifs des médicaments sont fabriqués en Chine et en Inde, le recours massif à des sous-traitants en Asie étant la seule source d’économies en raison du faible coût du travail et de normes environnementales moins contraignantes.

La compression des prix et la massification de la demande ont entraîné une concentration de l’offre si bien que pour de nombreuses molécules, seulement deux ou trois fournisseurs en Asie existent aujourd’hui, tout aléa de production entraîne des ruptures d’approvisionnement lorsqu’aucun site ne peut prendre le relais.

La santé publique est devenue une arme géostratégique qui peut mettre à genoux un continent. Notre perte de souveraineté a éclaté au grand jour avec la pandémie actuelle. Si la santé relève de la compétence de chacun des États membres, il appartient à l’Union européenne, conformément à l’article 168 du Traité sur le fonctionnement de l’UE, de coordonner et compléter ces actions nationales, d’agir afin de garantir aux citoyens européens une politique sanitaire de qualité, de protéger les citoyens contre les menaces pesant sur la santé, d’améliorer la surveillance et la préparation face aux épidémies et au bioterrorisme, et de renforcer la capacité à faire face aux nouveaux enjeux sanitaires, tels que le changement climatique.

Une plus grande coopération et davantage de concertation apparaissent nécessaires pour renforcer l’efficacité et la réactivité dont les citoyens européens ont besoin. Cette coopération a pris forme au plus fort de l’épidémie avec notamment les transferts de patients entre États membres lorsque certaines capacités hospitalières arrivaient à saturation. Elle doit désormais se structurer, se pérenniser, et le sujet de la lutte contre les pénuries doit en être le catalyseur.

La réponse européenne à la pénurie de médicaments doit reposer sur trois piliers : retrouver une souveraineté sanitaire en sécurisant l’approvisionnement, renforcer l’action européenne pour mieux coordonner et compléter les politiques de santé des États membres, et renforcer la coopération entre ces derniers.

Retrouver une souveraineté sanitaire dans le cadre d’une intégration européenne renforcée.

Cela passe avant tout par la relocalisation au sein de l’Union européenne de la production de substances actives et des produits finis en ce qui concerne les médicaments d’intérêt sanitaire et stratégique, pour lesquels une rupture entraîne un risque vital et immédiat pour les patients souffrant d’une pathologie grave, en l’absence d’alternative thérapeutique recommandée par les autorités.

Pour y parvenir, Il conviendra de prendre des mesures fortes :

∙ En accompagnant les activités de relocalisation et en autorisant les aides d’État (mesures fiscales et financières) pour inciter les industriels à produire en Europe, de la molécule au conditionnement et à la distribution, et en établissant une cartographie précise des sites de production potentiels au sein de l’Union européenne.
∙ En faisant de la sécurité de l’approvisionnement un critère prioritaire dans les procédures d’appels d’offres, la Commission recommandant aux États membres le mieux-disant.
∙ Par la création d’un ou plusieurs établissements pharmaceutiques européens à but non lucratif, capables de produire certains médicaments d’intérêt sanitaire et stratégique en situation de criticité (fragilité de la chaîne de production avec soit une seule ligne de production soit un ingrédient particulièrement difficile à obtenir) ou n’étant plus rentables pour les firmes pharmaceutiques.
∙ En faisant de notre continent celui de l’innovation de pointe dans les traitements de demain. Les programmes européens de recherche sont parmi les meilleurs mondiaux et doivent pouvoir s’appuyer sur un soutien plus fort de l’Union européenne, sur le plan financier comme sur le plan de la coordination, du partage de résultats, de la mise à disposition d’informations essentielles. Les programmes européens de recherche sur les traitements et vaccins contre le COVID-19 sont l’exemple de ce que l’Union européenne devra mettre en place demain : plus de recherche mutualisée, plus de secteurs couverts. L’Union européenne dispose des outils, des infrastructures et des chercheurs pour être le continent leader de la recherche médicale et des innovations en matière de traitements et de dispositifs médicaux. Par la diversification de nos ressources, en réapprenant à produire au sein de l’Union européenne des principes actifs, en investissant massivement dans la recherche et l’innovation, la bioéconomie et les biotechnologies il sera possible de développer et produire les médicaments du futur.

Renforcer l’action européenne pour mieux coordonner et compléter les politiques de santé des États membres

∙ En anticipant les tensions et crises sanitaires via la création d’une réserve européenne des médicaments d’intérêt sanitaire et stratégique sur le modèle du mécanisme rescUE mis en place par la Commission européenne. Il s’agit ici de développer à l’échelle européenne quelques stratégies de santé, avec un panier commun de médicaments et vaccins prioritaires et des prix harmonisés. Cette réserve permettra aux États membres de faire face aux tensions éventuelles sur les chaînes d’approvisionnement.
∙ En ayant recours plus systématiquement à une politique d’achats groupés permettant de réduire les coûts de certains équipements et médicaments. Il est plus facile d’aller négocier auprès des fournisseurs lorsque l’on représente 446 millions d’habitants.
∙ En instaurant une plus grande transparence dans la chaîne de distribution avec la mise en place d’un pilotage centralisé, une information plus grande de l’ensemble des acteurs concernés, en mobilisant davantage la responsabilité des entreprises pharmaceutiques, du producteur de la substance de base jusqu’au distributeur, en passant par les autorités de gestion et de mise sur le marché. Les conséquences en termes de santé publique rendent légitimes les exigences particulières des pouvoirs publics, particulièrement en matière de stocks de médicaments dits “stratégiques”, les firmes pharmaceutiques travaillant le plus souvent à flux tendu.

Renforcer la coopération entre les États membres

∙ En gérant en temps réel les stocks de médicaments disponibles dans chaque État membre et en évitant les phénomènes de “surstockage”. Le Commissaire à la santé devrait pouvoir piloter une “task force” en lien avec l’Agence européenne du médicament, les agences nationales et les industriels, afin d’anticiper les tensions sur les stocks et de réguler, au sein du marché unique, la circulation des médicaments en fonction des besoins de chacun des États membres. Cette forme de solidarité et de coordination européenne doit désormais voir le jour.
Par une simplification des législations et la mise en place d’une flexibilité des mesures règlementaires en temps de crise afin d’atténuer les pénuries et faciliter la circulation des médicaments entre États membres : acceptation de différents formats d’emballages, procédure de réutilisation permettant aux titulaires d’une AMM d’obtenir un agrément dans un autre État membre, extension des dates de péremption, utilisation de médicaments vétérinaires, autorisation d’une certaine coordination entre les entreprises sans crainte d’entente concurrentielle etc.
Par la mise en place d’outils numériques et innovants permettant d’avoir une information partagée en matière de pénuries et de matériel médical dans les États membres.

La mise en place d’une véritable stratégie industrielle pharmaceutique doit permettre à l’Union européenne de retrouver sa souveraineté sanitaire, d’investir dans la recherche de pointe pour être le continent de l’innovation et de l’excellence en matière de santé.

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