Souveraineté sanitaire : pour une réponse européenne 🇪🇺
“VU LE FAIBLE NOMBRE DE SITES DE PRODUCTION, TOUT ALÉA ENTRAÎNE DES RUPTURES D’APPROVISIONNEMENT.”
Dans une tribune accordée au magazine L’Opinion, notre députée européenne Nathalie Colin-Oesterlé plaide pour une coopération entre États membres pour lutter contre les pénuries de médicaments en Europe.
La question éminemment sensible de la pénurie de médicaments et de matériel médical à laquelle le grand public a été si attentif ces derniers mois n’est pas nouvelle. La crise sanitaire du Covid-19, avec l’augmentation soudaine et amplifiée de la demande mondiale, n’a fait que mettre en évidence un phénomène bien connu des personnels soignants et de certains patients.
Les ruptures de stocks et les tensions d’approvisionnement ont ainsi été multipliées par vingt entre 2000 et 2018, entraînant des risques considérables pour la sécurité des patients et fragilisant le système sanitaire des États membres. Il faut savoir que parmi les médicaments, les anticancéreux (chimiothérapies), les anti-infectieux (vaccins) et les médicaments du système nerveux (antiépileptiques, antiparkinsoniens) représentent à eux seuls plus de la moitié des ruptures.
La crise sanitaire du Covid-19 a également mis en lumière la dépendance de plus en plus forte de l’Union européenne à l’égard de pays tiers, principalement la Chine et l’Inde. Selon l’Agence européenne du médicament, 40 % des médicaments finis commercialisés dans l’Union européenne proviennent de pays tiers, et 80 % des principes actifs des médicaments sont fabriqués en Chine et en Inde.
La compression des prix et la massification de la demande ont entraîné une concentration de l’offre si bien que pour de nombreuses molécules, seulement deux ou trois fournisseurs en Asie existent aujourd’hui. Vu le faible nombre de sites de production, tout aléa de production entraîne des ruptures d’approvisionnement.
Nous découvrons, mais un peu tard, que la santé publique est devenue une arme géostratégique capable de mettre à genoux un continent. La perte de souveraineté européenne dans ce domaine a éclaté au grand jour avec la pandémie actuelle et nous oblige évidemment à réagir sans délais.
Si la santé relève de la compétence de chacun des États membres, il appartient à l’Union européenne, conformément à l’article 168 du Traité sur le fonctionnement de l’UE, de coordonner et compléter les actions nationales, d’agir afin de garantir aux citoyens européens une politique sanitaire de qualité, de protéger les citoyens contre les menaces pesant sur la santé, d’améliorer la surveillance et la préparation face aux épidémies et au bioterrorisme, et de renforcer la capacité à faire face aux nouveaux enjeux sanitaires, tels que le changement climatique.
Davantage de coopération et de concertation sont indispensables pour renforcer l’efficacité et la réactivité européenne. Nous avons eu une belle illustration de ce que peut produire cette coopération quand, au plus fort de l’épidémie et alors que certaines capacités hospitalières arrivaient à saturation, des transferts de patients entre États membres se sont organisés. Cette coopération doit désormais se structurer, se pérenniser, et la lutte contre les pénuries de médicaments doit en être le catalyseur. Ce combat doit reposer sur trois piliers : retrouver une souveraineté sanitaire en sécurisant l’approvisionnement, renforcer l’action européenne pour mieux coordonner et compléter les politiques de santé des Etats membres, développer la coopération entre ces derniers.
Les relocalisations sont urgentes. Nous devons inciter les industriels à produire en Europe, y compris en autorisant les aides publiques nationales. La sécurité de l’approvisionnement doit devenir un critère prioritaire dans les procédures d’appels d’offres, la Commission recommandant aux États membres le mieux-disant. La création d’un ou plusieurs établissements pharmaceutiques européens à but non lucratif capables de produire les médicaments d’intérêt sanitaire et stratégique en situation de criticité, ou n’étant plus rentables pour les firmes pharmaceutiques, nous paraît également indispensable. Enfin, les programmes européens de recherche méritent un soutien plus fort de l’Union européenne. Celle-ci dispose des outils, des infrastructures et des chercheurs pour être le continent leader du médicament du futur.
La crise sanitaire a démontré le besoin d’une action européenne plus soutenue pour mieux coordonner les politiques de santé des États membres et aussi pour les compléter d’un point de vue stratégique comme opérationnel. a aussi montré Elle le besoin d’anticiper les crises avec par exemple la création d’une réserve européenne des médicaments d’intérêt sanitaire et stratégique. Cette réserve permettrait aux États membres de faire face aux tensions éventuelles sur les chaînes d’approvisionnement comme d’ailleurs aux situations de « surstockage ». Une politique d’achats groupés faciliterait la réduction des coûts de certains équipements et médicaments ; il est plus facile d’aller négocier auprès des fournisseurs lorsque l’on représente 446 millions d’habitants.
Enfin, la coopération entre les États membres est évidemment une condition clé de la réussite d’une stratégie sanitaire européenne. Elle peut se développer autour de plusieurs axes tels que la gestion en temps réel des stocks de médicaments disponibles dans chaque État membre, la simplification des législations et réglementations en temps de crise, la circulation des médicaments entre Etats membres, l’amélioration des systèmes d’information. Il est également essentiel que les laboratoires européens puissent mieux travailler en réseau et partager leurs objectifs et leurs résultats.
Dans le monde d’après européen, la mise en place d’une véritable stratégie industrielle pharmaceutique est une priorité. Elle doit permettre à l’Union européenne de retrouver sa souveraineté sanitaire, de devenir le continent de l’innovation et de l’excellence en matière de santé et, grâce à tout cela, de prendre soin encore mieux de tous les Européens.